Le grand trotteur Ourasi vient de mourir à l'âge de 33 ans. Comme de nombreux admirateurs, j'ai été lui rendre visite, il y a quelques années, au Haras de Gruchy, en Normandie, où il vivait une retraite heureuse. Il était incroyablement gaillard pour son âge! Lâché tous les jours au pré, il ne plongeait pas la tête dans l'herbe. Non, il trottait après les hirondelles! Il trottait pour aller saluer les juments. Pour voir qui arrive en voiture. Pour surveiller la cour... Malgré son surnom de roi fainéant, le retraité avait une envie folle de mouvement! Le regard brillant, le trot aérien, il ne s'arrêtait que pour venir manger dans la main les pommes que lui apportaient ses fans.
Voici l'histoire d'un crack qui a remporté 58 victoires dont 4 Prix d’Amérique ! Il a enflammé les foules mais tous ceux qui l'ont côtoyé se sont déchirés.
Une bouche de plus à nourrir ! Voilà comment a été accueilli l’alezan Ourasi, le 7 avril 1980, par des éleveurs normands qui ne parvenaient plus à payer leurs factures.
Quand son propriétaire Raoul Ostheimer, l’a vu pour la première fois, il l’a trouvé pataud. Quelques jours plus tard, il le traitait de «
gros boeuf qui manque de nerf ». Ce n’était pas l’avis de Rachel, son ex-épouse avec laquelle il vivait toujours.
Homéric a écrit un livre « Le roi fainéant » (éditions Favre) qui a fait l'objet d'un film. Il raconte comment Ourasi était déjà un poulain différent des autres. Il ne sursautait nullement à l’approche de l’homme. Il n’éprouvait pas le besoin de se réfugier comme font tous les poulains contre sa mère. Non, il ne montrait que du dédain.
Son débourrage est un enfer ! C’est Rachel qui s’en charge. Elle a vite compris qu’il ne faut en aucun cas entamer un rapport de force avec lui. Le jeune intrépide ne supporte pas les contraintes. Il rue dans les brancards, casse le sulky et n’en fait qu’à sa tête. Pour sa première course, le trotteur prend le galop. Les autres courses ne sont pas plus glorieuses. Raoul voudrait vendre ce cheval difficile mais Rachel croit en lui. Elle le dorlote, son « Papouille ». A l’entraînement, elle le trotte deux fois plus longtemps que les autres.
Très vite, elle doit se rendre à l’évidence. Pour progresser, son champion a besoin d’être conduit par le meilleur. Ce sera Jean René Gougeon ! Celui que l’on surnomme le pape de Vincennes comprend qu’il doit composer avec ce fauve qui ne supporte pas le moment où on l’attelle. Un tueur qui déteste sentir un autre cheval près de lui. «
C’est toujours lui qui a commandé plus que moi ! » avoue le driver.
Ourasi enchaîne les succès. Mais il reste un peu grassouillet et toujours aussi impassible. Sa personnalité inspire les journalistes. Il est d’abord comparé à Droopy, le chien endormi de Tex Avery. Puis, il devient un génie, l’extra terrestre, le surdoué, le cheval du siècle, le magnifique, la fusée des hippodromes… Les plumes célèbrent son coup de rein formidable, sa force, son envergure, sa capacité de récupération, son mental de guerrier, son intelligence.
Serein, il dédaigne la foule et ne montre aucune inquiétude à l’approche d’un départ.
« Il me fout vraiment la trouille. Il est tellement relax ! » dit Jean René Gougeon.
Le roi voyage dans le monde entier mais toujours dans son camion et en compagnie de son lad. Lorsqu’il prend l’avion, il a le droit à un régime spécial. Il reste dans son camion, qui entre lui-même dans l’avion ! Son plus grand plaisir ? S’allonger de tout son long dans la paille pour piquer une petite sieste.
Le crack pulvérise les records et se paye trois Prix d’Amérique ! Là, l’histoire bascule. Raoul propose à Rachel de se remarier. Celle-ci refuse et signe sa ruine. Raoul « oublie » de lui donner une part des gains d’Ourasi. Puis, sans la prévenir, il vend la moitié d’Ourasi pour la somme d’1,86 millions d’euros. Rachel apprend la terrible nouvelle par la presse. Elle fait un procès et elle perd. Il lui est désormais interdit d’approcher Ourasi.
Rachel dont toute la vie est dédiée à Ourasi accuse le coup lorsqu’elle apprend que Christiane, la nouvelle épouse de Raoul a envoyé les chevaux de moins bonne qualité du haras à l’abattoir, notamment le demi-frère d’Ourasi. Privée de ses droits, interdite de voir son « papouille », Rachel n’a plus que ses yeux pour pleurer.
Le roi Ourasi a perdu sa plus fidèle alliée. En plus, il souffre d’un problème urinaire qui va se révéler chronique ; suit alors une période de repos, d’analyses et de mauvais résultats. En 1990, il se relève et pulvérise le record du Prix d’Amérique en 1’15’’2 !
« Rarement cheval n’aura fait pleurer autant de gens ! » écrit Homéric.
Quatre jours plus tard, escorté par les journalistes et les photographes, le champion part pour un Haras où un nouveau travail l’attend : devenir reproducteur. Mission : faire 130 saillies par an à 14 000 euros l'une. Une aubaine pour les investisseurs ! L’étalon montre un bel appétit sexuel. Mais en vain. Sa semence est déficiente. De plus, il déprime. L’arrêt brutal de la compétition lui a porté un coup. Le ronron du camion, l'excitation du départ, les cris des fans, la clameur qui monte des tribunes, les applaudissements... tout lui manque.
L’impossible est tenté ! On lui amène des juments les nuits de pleine lune. Leurs périodes d’ovulation sont calculées à la minute près. On lui administre tous les traitements possibles. Des quatre coins de l’Europe, les gourous accourent… Et les vétérinaires, et les ostéopathes ! Finalement, on décide de le mettre au vert au Haras de Gruchy, dans le Bessin, près de Bayeux.
La star finit par s'habituer à sa nouvelle vie. Dès l'arrivée des beaux jours, il passe ses nuits au pré et ses journées au box, évitant ainsi la chaleur et les mouches. L'hiver, il fait le contraire. Il est seul dans son paddock car il ne supporte aucune intrusion sur ses terres. C'est un dominateur! Les hirondelles lui tiennent compagnie.
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